Je ne suis plus une touriste
Ou celle qui se met à envier les vacanciers dans sa propre ville
Olà, bom dia!
C’est désormais comme cela que je salue mon entourage le matin. Après le déjeuner, on passe à boa tarde. Pour le boa noite, c’est encore un peu flou, est-ce que c’est à partir d’une heure précise? Ou attend-on que le soleil se couche? Je tâtonne encore.
Comme je vous le racontais dans ma précédente édition , nous avons plié bagages et mis nos vies de parisiens en cartons, direction le soleil de Lisbonne (croyait-on!) (la météo de notre nouveau lieu de villégiature pourrait faire l’objet d’une newsletter à part entière!). Nous avons pris nos 3 enfants sous le bras, avec l’envie de vivre une aventure familiale à l’étranger, pour une durée indéterminée.
Notre déménagement fin août 2022, la rentrée des enfants dans une nouvelle école (portugaise!), la reprise de mon travail de freelance à distance, meubler un nouvel appartement, ont été beaucoup d’émotions et de fatigue. Il m’a fallu quelques mois (presque 2 ans ;-) pour digérer tout cela.
Ma plus grande victoire depuis ce changement de vi(ll)e, c’est de traverser la rue le matin pour aller à la Pastelaria : la dame derrière le comptoir me sert désormais mon café duplo et mon “galão” (un shot d’expresso + du lait) à emporter, sans que j’ai à lui demander (ou peut être a-t-elle pitié de mon piètre portugais?). Je suis devenue une habituée! On ne se rend pas compte avant de s’expatrier, à quel point les moindres petites choses du quotidien doivent être réapprises. Surtout dans un pays dans lequel on ne parle pas (encore!) la langue.
Le fameux « galão » : toujours servi dans une tasse en verre
On me demande très souvent pourquoi nous avons choisi Lisbonne.
Notre vie à Paris était rôdée, parisienne de naissance j’ai toujours adoré parcourir ses rues pavées, m’asseoir aux terrasses bondées, déambuler dans ses musées, et par dessus tout, traverser ses ponts (ma passion !).
Ma ville m’a pourtant repoussée : avec 3 enfants, Paris et ses appartements aux loyers délirants, son stress permanent, ses cafés et restaurants où les enfants qui crient (les miens sont champions toutes catégories) sont priés de surtout ne pas faire de bruit (il faudra me donner le mode d’emploi) : nous avions envie de plus de douceur et d’espace, pour eux comme pour nous.
Nos jobs respectifs nous permettant de travailler n’importe où, Lisbonne, sa proximité avec l’océan, sa saudade, ses façades colorées et son climat clément rassemblait tous nos critères, et avait l’avantage d'étancher notre soif d’aventures en famille.
Quelques mois plus tard (l’idée nous est venue en octobre 2021, et la décision a été prise en mars 2022), nous mettions notre vie et celles de nos enfants en cartons, direction notre nouvelle maison portugaise…
Notre « marquise », sorte de véranda qui nous sert de salle à manger, avec des azulejos d’origine
Je reviendrai dans une prochaine lettre sur notre installation et notre intégration, mais avant cela je voulais vous partager une réflexion que je me suis faite il y a quelques semaines avant de partir en vacances :
Je ne suis plus une touriste.
J’ai eu une épiphanie sur mon vélo, alors que je traversais un quartier touristique de Lisbonne. Un couple dans un tuktuk, s’extasiait en regardant le Tage majestueux.
Je les ai jalousés.
J’habite désormais à Lisbonne, je n’y suis plus en transit : je travaille, je suis véhiculée, je connais les chemins les plus courts pour aller d’un point A à un point B. Je sais éviter les rails de tram pour ne pas dérailler, faire une réservation au restaurant et oublier d’aller à la plage la semaine pour buller (ma résolution de la rentrée : aller me baigner une fois par semaine pour ne pas être blasée!), je connais les bonnes adresses hors des circuits touristiques, les comptes Instagram d’initiés (Coucou @lisbon_insiders : notre « Fooding » local), la différence entre « desculpe » et « com licença » (le premier s’utilise pour se faire pardonner quelque chose, le second uniquement lorsque l’on passe derrière ou devant quelqu’un. C’est en quelque sorte l’équivalent de « pardon », et d’ « excusez-moi », avec un usage plus strict que le nôtre)…
En croisant ces touristes, j’avais envie de revoir Lisbonne à travers leurs yeux. M’émerveiller de ses beautés, la redécouvrir avec ce regard neuf, celui qui m’a fait vivre tomber amoureuse de la ville 2 ans auparavant au point de décider de chambouler toute notre vie. Même s’il m’arrive encore d’être abasourdie par ses rues pavées qui ont l’air de couler comme un fleuve argenté ou d’être soufflée au détour d’une rue par les façades aux azulejos colorés et les bougainvilliers en fleurs.
Ma nouvelle gamme de couleurs
Je crois surtout que je les ai enviés car ils étaient en vacances, reposés, avec pour seul but de vagabonder. Et c’est là que je me suis dit que j’appartenais à cette ville, que je m’y étais ancrée. Avoir besoin de vacances veut dire qu’on a travaillé dur, qu’on a besoin de se mettre au vert, de changer d’air. Alors, il est temps pour nous, expatriés, de boucler à notre tour nos valises pour 5, de jouer à tétris dans le coffre de toit de notre voiture, direction la verte France, aux paysages si familiers.
Quelle chance nous avons d’avoir désormais deux maisons!
Lisbonne je t’aime, mais je te quitte, pour mieux te retrouver dans quelques semaines!
Até Breve! Et bel été!
Côté coup de cœur
Quelques suggestions culturelles qui ont récemment fait vibrer mon cœur pour vous accompagner cet été.
« La carte postale » de Anne Berest :
J’ai mis beaucoup de temps à me plonger dans ce roman que l’on m’avait offert à Noël dernier. J’avais peur qu’il soit trop noir, trop triste. J’ai bien fait de passer au dessus de ça, et de l’avoir ouvert, pour ne plus le lâcher. Le pitch : la maman de l’autrice reçoit un matin une carte postale sur laquelle est inscrit 4 noms : ceux de ses grands parents, oncle et tante déportés et morts à Aushwitz. Qui a pu envoyer cette terrible et funeste lettre, près de cinquante ans plus tard? Une enquête familiale sous forme de récits entremêlés, où le passé et le présent se rejoignent dans cette quête d’identité.
« Gabriële » de Claire et Anne Berest
J’aime lire plusieurs livres d’affilée des mêmes auteurs. Ça me permet de rentrer plus facilement dans le roman car l’écriture m’est plus familière. Je me suis donc plongée avec délectation dans une autre histoire de famille, celle de Gabriële Buffet, arrière grand-mère des autrices, diplômée de composition musicale à Paris et Berlin au début du siècle dernier, et femme de l’artiste Franco-espagnol Francis Picabia. Nous suivons sa vie loin des conventions de l’époque, entre Paris, Nice, le Jura et New-York, aux côtés des artistes qui ont révolutionné l’époque (Duchamp, Apollinaire, Picasso…), et où l’on découvre que Gabriële a grandement contribué à la conception et au rayonnement du mouvement DaDa entre autres. Passionnant.
« The Durrells » sur Arte.tv
Ma série feel-good de l’été. Fan de Grèce, d’épopée familiale et de sagas d’époque, The Durrells avait tout pour me plaire. Une veuve anglaise aux revenus modestes dans les années 30 déplore l’indolence de ses 4 enfants. Elle décide sur un coup de tête, de plier bagages et d’aller secouer sa famille sous le soleil de Corfou. Un choix audacieux qui va se révéler payant ! Et une histoire taillée sur-mesure pour me plaire :-)